/ Ils font le territoire
Les petits meurtres d'Ali Rebeihi
À l'occasion de la sortie en poche de son premier roman, Le Bonheur est dans le crime, le journaliste Ali Rebeihi, dont la voix nous accompagne chaque matin sur France Inter et le week-end sur France 2, a évoqué avec nous la genèse de ce premier opus, le rôle crucial de notre territoire dans son processus d'écriture et fait quelques révélations sur la suite de sa saga 100 % made in Seine & Loing !
Vendredi 8 mars. Ali Rebeihi nous attend sur la grand place de Moret, à la terrasse de la Maison des arts.
En cette journée dédiée aux droits des femmes, c'est précisément d'une héroïne au tempérament de justicière dont il va être question. Alice Bonneville, aka Tante Alice, mais aussi de l'univers dans lequel elle évolue, son terrain de jeu et d'enquête. Car Alice est notre voisine. Elle fréquente notre forêt, fait ses emplettes au marché de Fontainebleau, se balade à Moret, Thomery ou Grez et vit à Valmont-sur-Loing. Un village fictif qu'Ali Rebeihi a placé sur la carte de notre territoire,
dans un monde parallèle, celui de son roman. Un polar teinté d'humour et de gourmandise. Un cosy crime, à la Agatha Christie, aussi érudit que populaire, qui se dévore d'une traite et braque tous les projecteurs sur notre territoire.
Sans trop dévoiler l'intrigue, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l'histoire et les personnages ?
Alice Bonneville, professeure de droit pénal à la retraite mène une vie agréable dans sa belle demeure de Valmont-sur-Loing, avec son neveu Arthur, psychologue clinicien. Elle partage son temps entre le club de lecture où elle retrouve son ami Haroun, ses escapades en forêt, ses discussions avec sa femme de ménage et sa passion pour la pâtisserie. Mais la vie de la communauté va être ébranlée par l'assassinat de l'un de ses membres, Paul Faye un ancien professeur de philosophie, devenu auteur à succès. Le « pape du développement personnel ».
Comment est né le roman?
J’avais des envies d’écriture depuis une vingtaine d’années, mais cette aventure littéraire a vraiment commencé pendant le confinement. J’étais alors tous les jours à la radio, à France Inter pour animer « Grand bien vous fasse » et je revenais ici à Moret le week-end où j’avais la chance d’habiter une maison, avec un jardin dans laquelle je m’étais installé quelques mois avant. Pendant cette période j'ai lu beaucoup de cosy crime, ces romans à énigme au charme désuet et qui se déroulent dans un cadre bucolique. Notamment Agatha Raisin, que j’ai trouvé drôle, bien écrit. Avant même de m'établir ici, j’avais tout de suite été saisi et charmé par le côté campagne anglaise de la région. À Thomery, Bourron-Marlotte, Montigny, entre les villas au style anglo-normand, les bords de Seine, de Loing, Il y a quelque chose de très british. Un épisode d’Inspecteur Barnaby ou une aventure de Miss Marple pourraient très bien se passer ici ! C'est ainsi qu'a germé l'idée d’une enquêtrice professeure en droit pénal, spécialiste en science criminelle, qui avec son neveu tenterait de résoudre un mystère. J'ai eu envie de m’évader avec cette héroïne, loin du climat anxiogène du moment.
C'est donc le territoire qui a été votre source d'inspiration ?
Même si le livre est aussi un lointain hommage à mes lectures de jeunesse de la bibliothèque verte, comme les Fantômette ou Le Club des cinq, je pense que si je n’avais pas habité ici, à Moret, tante Alice ne serait pas née. C’est ce territoire qui me l'a inspirée. L’intrigue et les personnages
ont mûri pendant les balades en forêt que je fais quotidiennement quand je suis ici. Le phénomène est le même pour le deuxième tome. Il est né lui aussi en forêt et j’ai achevé de bâtir l’intrigue hier en me baladant. Marcher dans la nature a un effet extraordinaire sur la créativité.
Comme le suspense final le laisse penser, il y a aura donc bien une suite ?
Dès le départ je l'ai pensé comme une série littéraire. J'ai déjà des idées pour les tomes 3 et 4 ! Le deuxième sortira en octobre, et je peux déjà vous dévoiler que cet épisode se déroulera dans le milieu de la télévision, entre Halloween et les fêtes de fin d'année. Et, toujours sur le territoire ! Je suis en pleines recherches. J'ai déjà rencontré un garde forestier, un médecin légiste, interrogé un psychologue spécialiste de la famille. Il y a tout un travail journalistique à mener en amont pour que l'intrigue soit solide.
Un véritable univers, des personnages forts et attachants, une histoire d'amour naissante... Tous les ingrédients d'une série télé à succès sont là. Une adaptation est-elle prévue ?
Dans le mois qui a suivi la sortie du livre, trois sociétés de productions toquaient à la porte pour obtenir les droits d’adaptation! Un premier épisode de 90 minutes est en projet. J'espère qu'il sera tourné sur notre territoire si la série se fait. Je travaille avec deux scénaristes, dont l'un a récemment participé à la série HPI. C'est passionnant et très stimulant. De nouvelles pistes émergent. Par exemple, en échangeant avec eux le passé de certains personnages, notamment les circonstances de la rencontre entre Haroun et Alice me sont apparues !
Vous portiez en vous ces personnages depuis longtemps ?
Il y a phrase de Stephen King que je trouve très juste. Il dit qu’un écrivain, c’est quelqu’un qui va déterrer un fossile qui existe déjà et que son rôle est de le faire émerger, de le polir. J’aime beaucoup cette idée.
Ce sont eux, les personnages qui mènent la danse ?
J’ai souvent entendu des auteurs dire que ce sont les personnages qui au bout d’un moment prennent effectivement le pouvoir. J’étais incrédule, mais c’est vrai ! L’assassin que j’avais imaginé au départ, et bien ce n'est pas celui qui est révélé à la fin. Je savais où j’allais et finalement un personnage a pris le pouvoir, s'est imposé en suivant sa propre logique interne.
Vous avez des points communs avec vos personnages ?
Je suis aussi gourmand que tante Alice. Je fais beaucoup de pâtisserie, et ses recettes ce sont celles de mon cru, agrémentées de quelques conseils de mon ami, le chef Grégory Cohen. Mais plus généralement, Il y a un peu de moi dans chacun d’entre eux. Je ne pourrais pas vous dire à quel degrés. Mais, il fallait des personnages assez typés. Alice qui est une femme qui aime que ça aille vite, qui a l’esprit vif, très gourmande, qui a horreur de l’injustice, qui est plus amie avec sa femme de ménage qu’avec sa cousine aristocrate. C’est quelqu’un qui a des principes. Haroun est plus rêveur, romantique. Arthur est dans son époque, asexuel, il a une chaine YouTube.
Certains habitants se reconnaitront-ils en lisant le roman ?
Non. La seule petite référence, le clin d’œil, c’est le patronyme de Nathalie Beaufort, la femme de ménage, en référence à mon fromager. Mais vraiment, aucun personnage qui m’a été inspiré par des gens de Moret.
Pour faire référence à votre titre, où se trouve le bonheur selon vous ?
Le bonheur est dans le lien ! Je me fais souvent l'écho dans « Grand bien vous fasse », d'études scientifiques sur le sujet et notamment de celles menées par Harvard. Parmi les facteurs du bonheur, celui qui revient systématiquement, c’est le lien social. C’est la base du bonheur, c’est ça qui rend heureux.
Et vous le trouvez aussi à Moret ?
Moret c'est ma bulle, il y a tout ce que j'aime. La nature, des amis. Les commerçants avec lesquels je m’entends très bien ; Laurent le fromager, José le libraire, Virginie, Amélie et Lisa de l’épicerie bio qui sont formidables. Dans mon immeuble parisien, si je connaissais mes voisins il y a 25 ans, aujourd’hui il y a un tel turn-over que ce n’est plus le cas. Ici, quand je suis arrivé il y a cinq ans, j’ai trouvé un mot calligraphié de mon voisin, qui est depuis devenu un ami. Comme c'est le cas dans le livre pour mes personnages, ici, on s’entraide, on est là les uns pour les autres. Il y a une vraie communauté.
Ali Rebeihi Bio express
- 1973 : naissance à Toulouse
- 2006 : après des débuts à « Télématin », il co-anime l'émission « Génération Europe 1 »
- 2013 : Il intègre France Culture avec une émission hebdomadaire
- 2016 : « Grand bien vous fasse » débarque sur les ondes de France Inter
- 2017 : Ali Rebeihi est nommé chevalier des Arts et des Lettres
- 2021 : depuis le 30 janvier, il présente « Bel & Bien » sur France 2
- 2023 : publication de son premier roman Le bonheur est dans le crime
RETOUR